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Manifeste pour une presse numérique payante

Faut-il et peut-on faire payer l’information numérique ? A la tête de l’un des principaux groupes de presse en France, Jacques Hardoin répond oui. Et pense que les municipales de 2014 pourraient être un tournant en la matière pour la PQR.

C’est l’une des lignes de fracture de tous ceux qui essayent de penser l’avenir de la presse et de l’information. Ou, à tout le moins, la grande question que tout le monde tente de résoudre depuis bientôt 10 ans.

Faut-il, peut-on faire payer l’information sur les supports numériques. ? Et c’est sans surprise un débat qui est à nouveau au coeur des discussions au 65è congrès mondial des journaux qui se tient actuellement à Bangkok.

D’un côté, donc, ceux qui comme Jeff Jarvis en 2009, affirmait qu’il s’agit là d’une « chimère », tout simplement.

De l’autre, ceux qui reprennent espoir en voyant les 325 000 abonnements numériques du New York Times.

Pour Jacques Hardoin, directeur général du groupe La Voix du Nord, l’un des plus grands groupes de presse en France, la réponse est oui. Et il l’explique dans un tribune publiée ici en avant-première, au titre on ne peut plus clair :  » Pour une presse numérique payante « . Et propose, au passage, de lier les aides à la presse aux effectifs des journalistes employés plutôt qu’au type de famille de presse.

 » Pour une presse numérique payante « 

« Alors que l’affaire Cahuzac a projeté sur le devant de la scène Médiapart, le site d’Edwy Plenel, et ses soixante-cinq mille abonnés, la presse quotidienne forte de plus de trois millions trois cent mille abonnés papier peine, elle, à trouver sa place dans l’univers numérique payant.

L’une des raisons essentielles est qu’elle hésite encore à choisir son modèle entre d’un côté le « tout gratuit » et l’audience d’un mass média et de l’autre monétiser ses contenus pour garantir sa pérennité et financer des rédactions d’une taille susceptible d’assurer une information fiable et à valeur ajoutée. C’est encore plus vrai pour la presse quotidienne régionale qui, à elle seule, emploie plus de 5.000 journalistes répartis sur tout le territoire, force vive indispensable et nécessaire pour atteindre le niveau de proximité et de profondeur attendu par ses lecteurs.

Au sein des entreprises de presse, les discussions sont souvent vives entre rédactions et régies publicitaires sur le choix du modèle. Un grand nombre de dirigeants restent eux-mêmes dans une prudente expectative. Conséquence, les internautes se perdent entre gratuit et payant alors que les marques papier traditionnelles dominent largement en audience les pure players tant sur le web que sur le mobile.

Quoi qu’il en soit, la monétisation numérique reste lente face à l’érosion beaucoup plus rapide des recettes “historiques”. Coté publicité, dans un marché en récession, les marques de presse dégagent certes des revenus. Toutefois, face à des annonceurs obnubilés par le coût d’acquisition et le rendement, les prix pratiqués ne sont pas compatibles avec les revenus attendus et les marques de presse peinent à valoriser leurs supports. Coté diffusion, les ventes numériques restent très timides et sans rapport avec les charges de fonctionnement des grandes rédactions de proximité.

Est-ce à dire que l’information devra abandonner ce terrain faute de moyens ? Ce serait paradoxal au moment où la France connaît une révolution démographique silencieuse expliquée par Guénaelle Gault, directrice du département Stratégies d’Opinion de TNS Sofres, dans l’étude qu’elle vient de réaliser avec le SPQR. Elle y démontre que « les territoires, désenclavés, reliés, connectés, émergent comme les nouveaux grands acteurs du monde mobile ».

Affirmer notre positionnement

Aujourd’hui, beaucoup de quotidiens régionaux ont atteint une audience numérique importante sur leur territoire. Encore quelques efforts et elle représentera un pourcentage significatif de la population d’une région, objectif clef pour rester la marque référente vers laquelle on va chercher l’information.
Mais à cette première étape doit succéder une autre, encore plus exigeante, celle de la construction d’un solide portefeuille d’internautes fidèles au sein d’un univers digital où les références classiques du papier sont beaucoup moins évidentes et les frontières plus ténues.

Pour la presse quotidienne, face à la concurrence acharnée sur les sujets phares de l’actualité où tous les médias font le même métier, le fait de privilégier l’audience a ancré dans l’esprit du grand public, l’idée que les contenus pouvaient être payants sur le journal et gratuits sur le net. Cette voie a conduit à une banalisation de l’information, voire des marques médias elles mêmes, au risque d’altérer le lien de confiance, patiemment construit sur le papier, qui les relient à leurs abonnés.

Face aux limites de cette approche, plusieurs titres, dont ceux du groupe La Voix, tentent désormais d’introduire une valorisation du contenu. Certains abandonnent même totalement le modèle gracieux dont on mesure aujourd’hui qu’il mène à une impasse économique si l’on veut maintenir une information proche et qualifiée. Même la majorité de des pure players, qui n’ont pas autant de contraintes historiques, commencent à regarder dans cette direction.

Pour aller à l’encontre du schéma de gratuité, enraciné dans les esprits, la presse numérique payante doit communiquer fortement et de la manière la plus concertée. Elle se doit d’expliquer à ses lecteurs et à ses annonceurs son rôle dans la vie démocratique du pays, celui de ses journalistes, et surtout mettre en avant ses différences
L’Etat, lui, doit encourager les titres qui ont l’ambition de poursuivre cette mission et qui s’efforcent de maintenir des rédactions importantes compatibles avec leurs ressources. Une manière de le faire pourrait être de lier les aides à la presse aux effectifs de journalistes présents dans les titres plutôt que de chercher les nuances entre les différents types de contenu ou de périodicité. Car plus que jamais la presse a besoin d’être accompagnée dans sa mutation par un Etat posant ses exigences du bon usage de l’argent public mais donnant aussi de la visibilité sur le moyen terme, cinq ans par exemple.

Dans le même registre, tous les éditeurs français seraient bien inspirés d’utiliser une partie du fonds Google pour financer un projet collectif et fondateur d’un système de monétisation simplifiée du type Itunes. D’autres pays comme la Belgique y travaillent déjà.

Renforcer le lien de proximité

La presse quotidienne régionale doit porter l’ambition de maintenir sur tous ses supports une information de qualité et de proximité. Elle pourra d’autant mieux le faire si les habitants des régions apportent leur soutien au numérique comme ils l’ont fait par le passé pour le papier. Il faut leur en donner envie, il faut leur faire partager ce projet.
Une occasion unique se présente d’ici à la mi 2014 : les élections municipales dont on sait combien elles passionnent les Français et plus particulièrement ceux des villes moyennes, des petites villes et des villages. Si les communes de moins de 5.000 habitants ne représentent que 40% de la population, elles pèsent 70% de la croissance démographique. Autant dire que la France de demain est dans ces nouveaux territoires.

Si, dans ces élections, les réseaux sociaux joueront sans doute cette fois, le rôle utile de “Café du commerce”, la presse quotidienne régionale doit être le lieu du vrai débat démocratique animé par ses journalistes. Le numérique lui en offre une possibilité supplémentaire. C’est l’occasion de faire venir ou revenir vers nous tous ceux qui s’engagent dans la vie locale, dont les plus jeunes. C’est aussi l’opportunité de donner à d’autres l’envie de s’ engager « .

Jacques Hardoin Directeur général Groupe La Voix
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